Repenser la confiance en liant corps et esprit, par Pascale Senk, lefigaro.fr le 03/05/2016

Détail révélateur: dans la passionnante enquête du journaliste américain Scott Stossel consacrée à l’anxiété et aux différentes découvertes permettant peut-être d’en sortir (Anxiété. Les tribulations d’un angoissé chronique en quête de paix intérieure, Éditions Belfond) – des années de recherche, 440 pages, des centaines d’interviews avec les plus grands spécialistes de l’angoisse -, l’index, pourtant impressionnant, n’affiche pas d’entrée «Confiance».

Cette absence rappelle à quel point la psychologie et sa recherche se sont jusqu’à maintenant centrées surtout sur la peur. «Dans les découvertes d’Henri Laborit ou celles, plus récentes, de Lionel Naccache, c’est cette émotion première, archaïque, qui permet de comprendre tout le système émotionnel», explique Catherine Aimelet-Périssol, psychothérapeute et docteur en médecine, auteur notamment de É.M.O.T.I.O.N. 7 étapes pour se comprendre (Éditions Albin Michel). «En effet, la peur vient toujours se mêler aux autres émotions.» Même la joie? «Oui, même la joie, qui, dans sa version excitée d’“emballement”, peut contenir une notion d’alerte», confirme la spécialiste(voir son site logique-emotionnelle.com).

Autre explication: la confiance a plus souvent été entendue comme confiance en soi (typique des années 1980, toutes dédiées au développement personnel) ou comme confiance dans les autres (rappelée avec insistance par le serpent Kaa dans Le Livre de la jungle: «Aie confiance», susurrait-il, encourageant des millions d’enfants à devenir des décennies plus tard des adultes incapables d’y parvenir…).

«Observateur de soi»

Aujourd’hui, le regard sur la confiance semble changer: celle-ci est davantage perçue comme confiance absolue, c’est-à-dire en tant que telle, sans conditions, sinon un sentiment dans lequel corps et esprit sont très engagés.

«L’état de confiance n’est pas lié à un savoir (sur l’autre, sur soi, etc.) mais à une expérience corporelle, estime Catherine Aimelet-Périssol. Rien à voir avec une confiance idéalisée (je vais parvenir à ce que je devrais faire), ce type de confiance, c’est “ici et maintenant”, quand je reste pleinement observateur de ce que je ressens, sans obéir à aucune forme d’exigence intérieure.»

Conséquence: il est inutile – voire néfaste – de se dire «ça va aller», «je vais y arriver», quand on craint quelque chose, alors que partir de la vérité de ce que l’on ressent («je suis angoissé», «j’ai des fourmis dans les jambes», etc.) peut constituer un socle à partir duquel on puise force et envie d’agir.
Le médecin Deepak Chopra, dans une récente conférence parisienne, où il présentait les dernières découvertes des neurosciences permettant de neutraliser le stress, indiquait lui aussi la base de toute confiance: «Il faut devenir observateur de soi pour dépasser le cerveau reptilien ; nous savons désormais que deux outils sont à notre disposition pour y parvenir: la méditation, qui aide à plonger dans la pure sensation en laissant passer ses pensées stressantes et, axe central de la sérénité, la respiration, mouvement perpétuel que l’on ne peut manipuler.»

Observer sa respiration permet en effet de voir combien le souffle toujours s’efface et revient. «Quand nous constatons que tout, nos pensées, les situations, tout ce que nous sommes, est mouvant, en perpétuelle transformation, nous faisons aussi l’expérience que quelque chose en nous – notre essence, selon Chopra – demeure hors forme, hors temps et est donc indestructible.»

En d’autres termes, le Dr Catherine Aimelet-Périssol rappelle comment l’image des végétaux se tournant vers la lumière pour pousser davantage doit nous inspirer dans le sens d’une ouverture à la réalité: «Faire confiance à la vie en général est primordial», explique-t-elle, rappelant que celle-ci «se fraye toujours un chemin et que nous pouvons toujours nous en souvenir».
Certes, mais quels sont les autres moyens d’installer la confiance en nous? «Il nous faut admettre que toutes nos tendances à psychologiser, tous nos encouragements factices, déjà abondamment testés, ne servent à rien, avance la psychothérapeute. Puis il s’agit de mettre en évidence que notre sentiment de manque de confiance est le fruit d’une sur-exigence… Alors, celle-ci peut nous quitter.»

Cela n’empêchera jamais des peurs de se représenter à notre porte, car nous sommes humains. En ce sens, la confiance est en perpétuelle construction. Pour nourrir celle-ci, Deepak Chopra a rappelé les cinq piliers incontournables désormais validés par toutes les études: un bon sommeil, une pratique de méditation et de gestion du stress, une activité physique régulière, de l’autorégulation émotionnelle et une alimentation saine. Là où corps et esprit agissent pleinement en alliés.

La confiance en soi, « une capacité à entrer en “amitié” avec sa peur »

INTERVIEW-Le Dr Christophe Massin est psychiatre-psychothérapeute. Il vient de publier Une vie en confiance, dialogues sur la peur et autres folies (Éditions Odile Jacob).

LE FIGARO. – Toutes les demandes de psychothérapie ne sont-elles pas d’une certaine manière liées au manque de confiance?

Christophe MASSIN. – Oui, dans la mesure où l’on retrouve une peur sous-jacente dans la grande majorité des problématiques évoquées, et cela sous trois grands aspects: manque de confiance en soi, ou dans les autres, ou dans la vie. C’est l’empêchement dans l’une de ces dimensions, ou dans les trois ensemble, qui fait habituellement ressentir la nécessité d’une psychothérapie.

On entend beaucoup parler aujourd’hui de la confiance en soi. Celle-ci est-elle déterminante?

Elle constitue en effet un socle. Elle est reliée à notre «sécurité de base», dont John Bowlby, psychiatre et psychanalyste britannique, a montré qu’elle tient à la qualité du lien d’attachement créé dans l’enfance avec nos parents. Cette sécurité affective première est fondamentale pour la confiance en soi. On l’observe dans des circonstances difficiles: les enfants auxquels les parents ont apporté de l’attention et des soins appropriés, un amour sans jugement, créant ainsi un lien «sécure», trouvent plus facilement des ressources en eux pour affronter les stress de la vie, et même les pires.

Mais cette confiance héritée de l’enfance ne peut-elle être ébranlée?

Bien que notre tendance de fond soit durable, des chocs et des déceptions peuvent entamer ou briser cette confiance. Inversement, une réussite, une relation amoureuse épanouissante, un transfert positif développé avec un psychothérapeute peuvent permettre à une personne de restaurer sa confiance. Comme notre mémoire retient durablement les expériences négatives, il faut une certaine somme de positif pour contrebalancer les effets délétères de la peur.

Reste cependant cette «confiance absolue» que vous définissez dans votre livre. Quelle est-elle et que faut-il pour la construire?

Oui, j’ai voulu aborder ce thème de la confiance «tout court» qui ne dépend pas de l’extérieur. Pas la confiance naïve qui fait dire «tout ira bien», mais la confiance lucide qui sait que dans toute situation il y aura une part de difficultés à traverser. Cette confiance-là se nourrit d’une acceptation totale de la réalité telle qu’elle est… Lorsqu’on vit cette adhésion inconditionnelle à ce qu’est la vie, il devient possible de faire le saut dans la confiance absolue.

Quelles sont-elles?

Il s’agit déjà de reconnaître notre propre vulnérabilité, inhérente à la condition humaine… Et admettre humblement cette vérité engendre une base de confiance. Car si nous sommes vulnérables, nous sous-estimons aussi les ressources dont nous disposons! Cette confiance n’a rien à voir avec le «même pas peur» clamé haut et fort. Il s’agit d’une capacité à entrer «en amitié» avec sa peur… Ce qui permet de mettre en cause la tyrannie qu’elle exerce sur notre vie et de découvrir ce qui est indestructible en nous. C’est seulement en accomplissant ce chemin exigeant qu’on pourra accéder à un état de confiance absolue.

Comment se manifeste celui-ci?

Je dirais d’abord par la joie. Ceux qui l’expérimentent font preuve d’une grande ouverture aux autres car les barrières érigées par la peur sont tombées. Rien à voir avec la confiance narcissique, celle de l’ego, qui est arrogante, mais peut-être balayée au premier coup fâcheux! Ceux qui sont habités par la confiance absolue manifestent une grande énergie et parviennent à faire aboutir des projets qui semblent irréalisables… Rien d’irréaliste chez eux, bien au contraire. Ils connaissent les limites de l’être humain mais aussi cette possibilité de les transcender et de se connecter à une force d’amour où la peur n’a plus de place.

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